Il est 21h06 lorsque l’on te pose sur le ventre de ta maman. Après 10 heures de travail, qui font suite à 48h d’attente à la Maternité, te voilà enfin ! A ce moment-là, j’ai ressenti une joie immense ! Ca y est tu es là, ça y est je suis papa pour la première fois et je peux enfin t’admirer !
Seulement, quelque chose ne va pas ! Quelque chose que je ne perçois pas et que l’équipe soignante n’avait pas détecté. Après quelques secondes sur le ventre de ta maman, à peine ai-je coupé le cordon, on te reprends et on t’emmène dans la pièce voisine.
Nous allons le préparer un peu et nous revenons.
Je comprends tout de suite que quelque chose ne va pas, mais je ne le montre pas. Je reste avec ta maman qui vient de tout donner pour te mettre au monde. On se regarde, on sait tous les deux qu’il y a un problème mais aucun ne le montre, aucun ne veux inquiéter l’autre.
Ces quelques secondes durent pour nous comme une éternité, même si je ne le montre pas, toute mon attention est portée sur ce qui se passe dans cette pièce voisine. Je n’ai qu’un seul souhait, celui de t’entendre pleurer. Tu viens de quitter ton milieu aquatique, tu prends normalement tes premiers bols d’air, tes poumons se déchirent et cette douleur indescriptible devrait t’inciter à pousser tes premiers cris. Seulement voilà, le silence règne ! Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé, je retiens mon souffle, mon rythme cardiaque s’accélère, mes sens sont en éveil, à l’affût du moindre petit son émanant de toi.
Au bout d’un moment, j’accepte de laisser ta maman et je m’engage dans la pièce où tu te trouve. J’ai la gorge nouée, j’ai peur de ce que je vais voir mais je trouve la force d’avancer. Je dois savoir, je dois agir si je le peux. En plus de la sage-femme et du gynécologue déjà présent, une autre sage-femme fait son entrée, suivie par une pédiatre. Une à une, des personnes entre dans la pièce et s’affaire autour de toi. Rapidement, c’est tout le personnel présent dans le service qui t’entour et chacun réalise une opération spécifique.
Je les entends parler, sans comprendre ce qu’ils disent, car ils parlent faiblement et dans un langage volontairement flou et obscure. J’ai envie de leur demander ce qui se passe mais je n’ose pas. Une part de moi a peur d’entendre la réponse mais surtout, j’ai le sentiment que l’instant est grave, que chaque secondes comptent, que chaque mouvement est essentiel. Je n’ai pas envie de détourner leur attention, de leur faire perdre du temps et de risquer l’erreur. Alors je ne dis rien, je reste là, dans un coin de la pièce, hors du passage. Je te vois à peine au milieu de toutes ces personnes. Je reste à l’affût, je cherche le moindre geste, le moindre cri, le moindre regard de quelqu’un qui saurait enfin me dire ce qui se passe.
Ne vous inquiétez pas, il respire ! Nous l’aidons à aller mieux car il semble en souffrance.
Première délivrance ! À défaut du son de ta voix, je peux me contenter de ta respiration. Les larmes coulent d’elles-mêmes, je ne sais pas encore ce qui se passe mais je sais que tu es là ! Deuxième délivrance, après 45 minutes, tu pleures enfin et ta maman peut enfin te voir et te prendre dans ses bras.
J’ai à peine le temps d’immortaliser cet instant sur une première photos de nous trois, que le SMUR est là et que tu commences à te sentir mal à nouveau.
Seulement trois heures après ta naissance, te voilà prêt à quitter la Maternité. Tu semble si paisible dans cette couveuse mais en réalité, tu viens d’être plongé dans un sommeil artificiel et placé en hypothermie pour te protéger. La encore les larmes coulent d’elles-même. Nous avons le droit à un dernier contact avant de te voir partir sans pouvoir t’accompagner, sans plus d’information sur ton état et sur sa cause.
Nous l’emmenons en réanimation pédiatrique pour qu’il soit surveillé de très près.
Pendant que j’écris ces lignes, tu es à côté de moi. Cela fait 72 heures maintenant que tu es maintenu dans cet état. Nous te regardons dormir, espérant sans cesse qu’il te soit favorable. Je cherche chaque signe positif de récupération, un mouvement spontané des pieds, des mains, un froncement des sourcils. Et dans un élan de générosité, tu nous as offert un cadeau bien plus haut encore que tout ce que j’aurai pu espérer, tu as ouvert les yeux et tu m’a regardé.
Désormais, il est temps de te réchauffer puis de te réveiller. Il est 4h du matin, je suis là depuis le début de l’opération. Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir tenir mais je me dois d’être là.
Comme lors de ton accouchement, je regarde chaque appareil, je lis chaque indicateur et j’essaye de déterminer ton état. Je vois chaque degrés, chaque dixième de degrés même, de ta température grimper doucement. Je sais que cela va prendre du temps, comme l’étape de ton réveil qui commence demain matin. Mais c’est important pour toi alors c’est important pour nous.
Il est 21h06 !
Cela fait 3 jours qu’il est 21h06 ! Le temps s’est interrompu. 3 jours que nous passons à tes côtés en espérant qu’une chose; que tu te réveilles et que tu nous reviennes comme ça aurait dû être le cas dès ce Lundi soir où tu es entré dans notre vie !
